Ce récit aussi s'achèvera sans la moindre valse
Harkaitz Cano (traduction: Kattalin Totorika)

Voici le récit intitulé "Batere valsik gabe amaituko da narrazio hau ere" (Ce récit aussi s'achèvera sans la moindre valse), extrait du livre 'Neguko Zirkua' de Harkaitz Cano

Nous n'accordons pas aux gestes l'importance qu'ils ont vraiment. Grave erreur quand notre seule fortune se limite, bien souvent, à un geste. Quand il ne nous reste plus un kopeck, pas même un mot. Rien qu'un geste.

Et si je vous disais que l'empreinte qu'elle a laissée en vous n'est ni une phrase inoubliable, ni le souvenir de cette jolie balade – non dénuée d'ambition bourgeoise – que vous fîtes un jour au bord de la rivière dont les eaux brillaient comme le dos d'une truite au soleil. Si je vous disais que son souvenir n'éveille en vous ni rire, ni larmes, ne provoque en vous ni attitude répréhensible, ni comportement louable. Si je vous disais que la seule empreinte qu'elle a laissée en vous est un geste. Ce geste appris d'elle et que vous continuez à faire aujourd'hui, sans même le savoir, après toutes ces années. Ce geste que vous lui avez emprunté, sans même le vouloir, par sympathie pour elle, pour vous rapprocher d'elle, pour ne faire qu'un avec elle, et que vous répétez sans même y prendre garde. Ce geste singulier, bien à elle, que vous immortalisez, sans même le prévoir. Ce geste qui vous a définitivement contaminé, et que d'autres filles, à leur tour, apprendront de vous, jusqu'à ce jour où le monde ne sera plus monde.

Vous n'êtes peut-être que cela : le fil conducteur qui catalyse le geste d'une personne disparue, le mince serpentin de l'alambic qui conduit l'essence des gestes d'une chaudière à l'autre.

Je ne me réfère pas ici aux rodomontades héroïques, ni aux gestes susceptibles d'inverser le cours de l'histoire ; je ne fais pas davantage allusion à ceux que faisaient les empereurs romains, lorsqu'ils levaient et abaissaient leurs pouces au gré de leurs humeurs.

Mais une chose est sûre : nous n'accordons pas aux gestes l'importance qu'ils ont vraiment. Nous ne parvenons pas à comprendre la transcendance que supposent, pour celui à qui nous avons fait passer un sale quart d'heure, ces ongles rongés jusqu'à la chair. Nous ne discernons pas l'abîme de désespoir dans le regard vissé au sol de la fillette à qui nous avons infligé une déception.

Il ne s'agit pas seulement ici de la démarche titubante de l'ivrogne passant sous le réverbère de la rue principale, et qui déjà a disparu dans le néant au moment où s'achève cette ligne, geste annonciateur d'un effondrement inéluctable ; ni de la fatuité de cette matrone agitant son éventail, gorge vaniteuse et regard hautain, symbole du mépris pour son domestique, signe trop bien compris d'un abécédaire gestuel entre esclaves et tyrans ; il ne s'agit pas non plus de la mère offrant, dans un sourire, sa main et son giron à l'enfant qui fait ses premiers pas, geste définitif ; et pas davantage du tavernier déversant exagérément sa fureur, du plat de la main, sur la table en bois, à faire trembler la bouteille, vibrer ses cordes vocales, et ébranler jusqu'aux fondations de la taverne. Préférons à tous ceux-là ce geste qui nous faisait frotter de la main, pour les soulager, nos côtes endolories par le lit de notre enfance, ce mouvement d'épaules aérien et ondoyant que nous avons gardé de l'époque où nous faisions des grimaces moqueuses pour attirer l'attention de la fille dont nous étions amoureux – ce récit, s'il doit avoir une quelconque utilité, doit comporter une danse, une valse, une partition dansée dans des parcs vastes et vides, faites m'en souvenir, s'il vous plaît, si ces lignes venaient à s'achever sans la moindre danse –.

Car ceci est l'histoire d'un geste. Un geste choisi, appris, inconscient, involontaire, désiré. L'histoire d'un geste qui refusera et fera voler en éclats tous les qualificatifs qu'on tentera de lui accoler.

Dans la rue flottait un parfum de cannelle. Pas de cannelle en poudre, mais de cannelle en bâtonnet. C'est différent.

Très différent.

La cannelle en poudre est une invitation à la douceur, à l'indolence, l'éventualité de voir le vent disperser cette poudre, avec le risque qu'elle pénètre dans nos narines et nous fasse éternuer. La cannelle en poudre évoque les sables aériens, les peaux et les voiles des déserts qui enflent et se déplacent, semblables à des étoffes légères. La cannelle en bâtonnet ne produit pas cet effet-là.

La cannelle en bâtonnet évoque la tension, les ponts, les muscles bandés prêts à l'effort, l'enfant qui tous les dimanches ramasse les brindilles pour l'hiver, les affaires non réglées, et donc pas encore désagrégées. Les outils des paysans, les objets qui tirent et tractent, trop secs, trop rigides peut-être, inflexibles même, et pourtant vivants.

Était-ce la présence de cette épicerie emplie d'odeurs et d' essences importées de Turquie, mais il flottait un parfum de cannelle dans la rue Chocimska. C'est ainsi que doit commencer cette histoire, puisque j'ai décidé qu'elle valait la peine d'être racontée.

Dans la rue Chocimska il y avait toujours un jeune garçon, assis à l'angle, qui vendait le quotidien Kurier Warzawski ; Minkiewicz tenait une boutique de chapeaux, Kotkowski possédait la boulangerie, plus loin se trouvait l'épicerie turque, et un peu plus loin encore, on avait beau fermer les yeux, pas moyen de savoir quelles boutiques ou quels porches s'égrénaient ensuite jusqu'au bout de la rue. Pour ma part, je me contentais de présenter mes respects à ces trois-là, j'achetais la presse au vendeur du Kurier dont je ne connaissais même pas le nom, je saluais de loin Minkiewicz le chapelier portant gilet, avec son ruban de tailleur autour du cou, et je demandais à Madame Kotkowski des nouvelles de ses turbulentes jumelles.

C'est dans cette rue que je l'ai vue la première fois, le port droit, et cette démarche qui n'était pas sans rappeler la rigidité d'un bâtonnet de cannelle. Quand nous nous sommes croisés, mon regard n'a pu se détacher d'elle. Elle marchait vite, tenant son chapeau d'une main pour éviter qu'il ne s'envolât. Mon regard s'était accaparé son visage, pour ne plus le lâcher. J'ai tenté de capter le sien… Allez mon coeur, allez, regarde un peu par ici, fais-moi ce plaisir et aujourd'hui je serai heureux. Ses pupilles ont flairé l'hameçon, et au lieu de tourner la tête dans ma direction, elle l'a tournée vers la droite, regardant les petits pains de la boulangerie Kotkowski qui, par un heureux hasard, se trouvait en face. Elle avait choisi ce geste et me tournait le dos. Pourtant, il s'en était fallu de peu.

Depuis, nous nous sommes souvent croisés. Moi, je la regardais sans me dissimuler, sans cesser de marcher, traçant une sorte de trajectoire elliptique avec les yeux, tournant la tête à gauche en montant la rue, à gauche et plus à gauche encore, jusqu'à ce qu'elle disparaisse de mon angle de vision, et qu'il ne me reste pas d'alternative. Je me lamentais alors de ne pouvoir tourner la tête à trois cent soixante degrés, désespéré par les capacités limitées de ma vision. Et tandis que je tournais la tête vers la gauche, elle, qui descendait la rue, tournait la sienne vers la droite, vers la boulangerie de Kotkowski, la boutique du chapelier Minkiewicz, ou tout autre chose pouvant se trouver à sa hauteur, attirée, non pas par sa propre image et mon reflet dans la vitrine, mais par les chapeaux et les petits pains. C'est en tout cas ce qu'elle essayait désespérément de me faire croire.

Combien de fois ce manège des têtes s'est-il répété… Mon regard la cherchant, toujours vers la gauche, tandis que je montais la rue, le sien fuyant l'hameçon, toujours vers la droite, tandis qu'elle descendait.

Après trois mois de ce petit jeu, j'ai décidé de m'approcher d'elle : ce jour-là, elle regardait la vitrine du magasin de chapeaux.

Vous ne croyez pas que chez Minkiewicz les chapeaux sont en cannelle ?

Pour la première fois, son regard a mordu totalement à l'hameçon de mon regard. Elle n'a même pas joué à celle qui ne comprenait pas. Elle n'a même pas essayé de me dire que la cannelle pouvait simplement venir de l'épicerie turque. Elle m'a offert son regard, tout juste enveloppé d'un parfum de cannelle en bâtonnet.

Elle s'appelait Alma et travaillait comme tourneuse de pages à l'Opéra. Elle tournait les pages des partitions pour le pianiste, afin que celui-ci n'ait pas à lever les mains du clavier. Elle ne m'a pas répondu lorsque je lui ai demandé s'il s'agissait d'un véritable métier. Le mien lui paraissait bien plus ridicule, vouloir être écrivain, quelle drôle d'idée. Qu'est-ce que je m'imaginais ? Que pour être écrivain il suffisait de s'enivrer au cabaret Adria et de prendre son café au Zodiac ? C'est à partir de ce jour-là que nous avons commencé à nous promener, tous les deux, au bord de la Vistule. Je persistais à tourner la tête vers la gauche, pour la regarder – elle aimait marcher à ma gauche, l'une de ses manies –, et elle continuait à tourner la sienne vers la droite, non plus histoire d'admirer des chapeaux en cannelle ou des petits pains de style Panama, mais bien, désormais, pour regarder dans ma direction ; à sa droite, j'occupais la place de la boutique de chapeaux et des petits pains, je devenais le chapeau itinérant qui recevait ses baisers quand nous atteignions le recoin le plus sombre de la rue – je sais que je n'aurais jamais dû me montrer aussi vulnérable, mais j'étais amoureux, que faire ? –.

En somme, son geste était encore et toujours le même, mais à présent, elle se tournait pour me regarder. Nous marchions désormais tous deux dans la même direction.

Un dimanche, nous nous sommes un peu éloignés de Varsovie avec l'intention de pique-niquer dans un pré. A peine avions-nous déployé la nappe sur le sol, que nous avons senti des bosses qui bougeaient dans l'herbe humide, sous le tissu. Des escargots baveux.

Nous nous sommes amusés à observer les superbes spirales de leurs coquilles. Puis, elle a frotté ses longs doigts blancs – les doigts d'une tourneuse de pages, et peu importe qu'il s'agisse d'un vrai métier ou pas –, de telle sorte qu'ils eussent claqué, s'ils n'avaient été quelque peu collants. Elle a porté ses doigts à ses narines, pour sentir cette substance visqueuse. Son expression de dégoût n'a fait qu'ajouter à mon impatience. Je me suis tout à coup senti à l'étroit dans mon pantalon, du côté de la ceinture.

Le lendemain, elle m'a emmené dans la salle de répétition de l'Opéra, avec une audace inattendue qui la rendait encore plus désirable à mes yeux. L'un des pupitres en bois est tombé à grand fracas sur le sol tandis que nous nous déshabillions. Lorsqu'elle a glissé sa main dans la poche centrale de mon pantalon, mon cerveau s'est illuminé ; j'ai poussé un gémissement et elle a senti la manche de sa chemise s'humidifier. Humide et chaude aussi, la peau de son poignet : l'étoffe de sa chemise était si légère qu'on aurait dit un voile de papier. Elle m'a souri, tendrement.

Tu es encore plus rapide que les escargots.

Puis elle a porté ses doigts à ses narines, et tandis qu'elle sentait mon sperme, elle a souri, tout en frottant ses doigts, de telle sorte qu'ils eussent claqué, s'ils n'avaient été quelque peu collants.

Un geste, rien de plus, à garder en mémoire.

Je n'avais pas oublié mon rêve de devenir écrivain. Pourtant, j'ai commencé à travailler comme employé de bureau dans une grande menuiserie.

Quand j'ai montré à Alma mon premier récit, il lui a semblé trop tortueux et elle m'a reproché de ne jamais l'avoir emmenée danser. Elle avait cette capacité de sauter d'un sujet à l'autre, de tourner très rapidement la page. Il est vrai que c'était son métier : tourner avec élégance les pages des partitions.

Pour le réveillon du nouvel an, lui ai-je dit. J'ai alors brûlé mon premier récit dans la cheminée de la cuisine, et j'ai réalisé que je ne savais pas danser.

Tandis que mon cahier était la proie des flammes, ma mère est entrée dans la cuisine :

Ma mère : Qu'est-ce que tu fais brûler ?

De la paille, ai-je pensé. Mais j'ai dit autre chose.

Tu vas m'apprendre à danser, Maman ?

Ma mère a bien essayé, mais en vain : esquisser quelques pas de danse dans sa cuisine n'avait pas grand chose à voir avec le fait de danser un soir de réveillon au café Zodiac. Je dirais que ce sont là deux manières bien différentes d'envisager la danse en couple.

Alma me disait que nous devions bouger davantage, mais je ne parvenais pas à dépasser pas les limites de la cuisine dans laquelle j'avais dansé avec ma mère. Pourtant, la liberté de mouvement était totale sur la piste gigantesque du café Zodiac. Mais je n'étais qu'un piétineur de cuisine, certainement pas un danseur de salon.

Au bureau, le chef était une belle ordure.

Il occupait une pièce à part, rien que pour lui, mais laissait toujours son veston dans le petit bureau où nous étions trois à travailler : Slowacki, le vieux comptable, Jozef, un garçon de mon âge, l'homme à tout faire, et moi-même. Le chef suspendait toujours son veston dans notre petit bureau parce qu'il disposait là d'un portemanteau personnel, réservé à cet effet. Il ne manquait certes pas de place, mais c'est dans notre réduit qu'il avait installé ce portemanteau, et c'est là qu'il suspendait son veston. Comme je l'ai compris plus tard, ce portemanteau était un mât planté sur le territoire nouvellement conquis : le veston posé sur ce mât, sa bannière. Ainsi, le chef pouvait pénétrer dans notre domaine quand bon lui semblait, à l'improviste, pour surveiller la bonne marche du travail, scruter nos états d'âme, et inspecter si nous accomplissions correctement et avec diligence les tâches qu'il nous avait intimé l'ordre d'exécuter.

Il est là ? demandait à voix basse Monsieur Slowacki, chaque fois qu'il arrivait avec un peu de retard. Bien qu'ayant dépassé la soixantaine, il craignait encore le chef.

Surprenante, cette crainte de Monsieur Slowacki vis-à-vis du patron. Il avait combattu les bolcheviques russes aux côtés du général Haller en 1919, mais cela ne l'empêchait pas de ressentir une peur panique devant son supérieur. Il avait été décoré durant la guerre, ce qui ne lui valait pas pour autant des marques de respect. Sa médaille ne lui donnait même pas la force d'affronter le chef. Etre capable de survivre à une guerre ne rend pas nécessairement plus apte à s'en sortir une fois la guerre terminée.

Mais je m'égare, je parlais du portemanteau.

Il n'était pas nécessaire, en effet, que le patron fût dans notre bureau. La seule vision de son insupportable veston suffisait à supplanter sa présence physique. Le portemanteau était symbole de pouvoir. Il était cet implacable témoin qui nous rappelait sans cesse à la tâche. Même si je ne le soupçonnais pas encore, j'allais connaître, au cours de l'année à venir, plus de portemanteaux que je n'aurais pu l'imaginer.

Je gardais à l'esprit ce que racontait Monsieur Slowacki à propos de la guerre.

Il disait que la guerre était l'endroit où se mêlaient la poudre et le levain. L'époque où les prisons devenaient greniers, et les greniers prisons.

Nous attendions une cargaison de poudre, vingt sacs. Après avoir ouvert les sacs et commencé à charger les canons, nous nous sommes aperçus qu'en fait de poudre, ils nous avaient envoyé du levain. Ils s'étaient trompés de cargaison. Nous en avons déduit qu'ils avaient envoyé notre poudre à une boulangerie industrielle.

C'est alors que le chef est entré, pour suspendre son veston au portemanteau. Slowacki s'est arrêté net de parler de la guerre, et a ouvert le cahier de comptabilité, passant en revue, du bout de son index, d'interminables listes de chiffres.

A la nouvelle de l'invasion de la Pologne par l'Allemagne, ce fut comme si on nous plantait un portemanteau acéré en plein coeur. L'Allemagne suspendait là, sous nos yeux, sa casquette et sa gabardine noire.

En rentrant à la maison, j'ai trouvé ma mère près de la fenêtre, en larmes, une lettre à la main.

Pas besoin d'être devin pour comprendre ce que disait cette lettre.

Ah, mon fils, mon fils !

La lettre ne disait pas cela, bien évidemment.

Le jour même où j'avais cessé de travailler parce que la patrie avait, semble t-il, besoin de moi, le chef m'avait remis une enveloppe, pleine d'argent.

La Pologne a besoin de toi. Bonne chance, fils, m'avait-il dit.

Les portemanteaux aussi ont du coeur, avais-je déduit. Je n'aurais pas pensé cela, non vraiment, si j'avais imaginé plus tôt la réaction de ma mère en ouvrant cette enveloppe.

Là-dedans, il y a tout juste le prix du cercueil ! Ah, mon fils, mon fils !

Monsieur Slowacki aussi m'avait dit quelque chose : si je n'étais pas aussi vieux.

Rien d'autre. Si je n'étais pas aussi vieux. Puis il s'était frotté l'oeil du bout du doigt, ce doigt noirci par tant de chiffres tracés à la plume, ce doigt qu'il espérait, pour une fois, tremper dans un encrier de larmes. Mais les larmes n'étaient pas au rendez-vous, et il avait accusé une plus grande tristesse encore. Il était resté longtemps à observer son doigt sec, avec sur le visage, l'expression du pêcheur qui s'est enfoncé un hameçon dans l'index. Plus que blessé, honteux.

Jozef n'avait rien dit. La veille au soir, il avait disparu de chez lui.

La mère de Jozef avait été suffisamment astucieuse pour descendre à la mairie tôt le matin, avant que les soldats ne vinssent chercher son fils, afin de signaler sa disparition et prévenir qu'elle ne savait pas où il se trouvait.

Le secrétaire de mairie, en marmonnant – des problèmes, toujours des problèmes –, avait fait venir le sergent chargé de recenser les recrues.

Vous savez très bien où se trouve votre fils !

Si je vous dis que non ! A la maison nous sommes tous inquiets !

Jozef n'était pas le seul jeune homme en âge d'être recruté à manquer à l'appel, loin de là.

Compatissant, le secrétaire de mairie avait offert une chaise à la mère de Jozef.

La désertion est sévérement punie, Madame. Vous le saviez ?

Ils ont retrouvé Jozef à quelques kilomètres du village, dissimulé dans une charrette tirée par des chevaux, entouré de bidons de lait.

S'il s'était caché dans une charrette de fumier, ils ne l'auraient pas attrapé aussi vite, m'a dit ma mère.

J'y suis, moi, dans le fumier jusqu'au cou. Et pourtant ils m'ont attrapé.

Ma mère s'est remise à pleurer.

Je ne voulais pas dire au revoir à Alma, mais elle a insisté pour venir à la gare.

Nous serons bientôt à nouveau réunis, mon chéri.

Oui, ai-je soupiré, sans y croire.

Elle m'a offert un bâtonnet de cannelle.

Pour que tu l'accroches à ta casquette.

Ou à l'oreille, comme le font les menuisiers avec leur crayon.

Oui, voilà. A l'oreille.

J'ai senti ma gorge se nouer. Le train s'est mis à siffler. Alma a suivi le train, un parapluie blanc à la main – pure invention, elle n'avait pas de parapluie blanc, mais j'aurais tellement aimé qu'il en fût ainsi –, la tête tournée en direction des wagons, vers la droite, jusqu'à ce que le quai devînt précipice sous ses pieds.

Je t'écrirai tous les jours !

Vous êtes l'arrière-garde, soyez tranquilles ! Les premiers jours, ils faisaient tout pour nous mettre en confiance et nous donner du courage. Mais en l'espace de quelques semaines, l'arrière-garde est passée en première ligne. Nos généraux étaient de piètres joueurs d'échecs. La chance m'a souri pourtant, sous la forme d'une pneumonie assez sévère. A peine rétabli, je me suis échappé de l'hôpital. Pendant que j'étais en fuite, nous avons échangé une correspondance suivie, Alma et moi. Les jours où je n'avais d'autre alternative que de m'embarquer en solitaire jusqu'aux portes du plaisir, jusqu'à l'illumination, je recueillais mon sperme visqueux et le portais à mes narines, comme elle l'avait fait ce jour-là, en espérant que ce geste, ce claquement de doigts, réveillerait en moi le souvenir d'Alma.

Au bout d'un an, nous nous sommes revus.

Je dois te dire quelque chose. J'ai rencontré quelqu'un d'autre.

Un Allemand. Nous pourrions faire une promenade, si je le souhaitais. Une promenade. Que vaut une promenade comparée à un Allemand ? Face à face, dans une balance : l'Allemand, la promenade. La balance penche t-elle ? La promenade a t-elle une chance de faire le poids ? Oppose t-elle une résistance ? Non, les jeux sont faits ! L'Allemand l'emporte haut la main : le poids de l'Allemand fait pencher la balance, tel du plomb, et le plateau de la promenade remonte, vaincu. La promenade remonte, et pourtant, elle est perdante : drôle de justice que la justice poétique, inventée par des intellectuels aux bras rachitiques pour racheter leur haine envers des marins aux biceps tatoués, voleurs de compagnes. Justice poétique, ainsi la désigne t-on.

Une promenade, c'était peu. Je lui ai donc demandé un week-end. C'était encore bien peu comparé à un Allemand. Mais au moins, c'était plus qu'une promenade.

La guerre n'est pas terminée… Où irons-nous ? Nous ne pourrons pas sortir de Varsovie.

C'est à moi que reviendrait le choix de l'endroit. Nous irions dans un lieu dévasté. J'aurais pu dire « au fond de mon coeur », mais je n'étais quand même pas à ce point geignard.

Sois tranquille, personne ne nous verra.

Je l'ai emmenée, à bicyclette, près d'une carrière délaissée par les Allemands parce qu'elle ne présentait pas grand intérêt. Il est toujours utile de connaître les chemins des escargots, lui ai-je dit. Mais elle ne m'a pas répondu. Elle n'a pas souri. Consciente que l'attente de l'amour naît de la complicité, elle s'est arrangée pour ne pas laisser s'installer la moindre connivence. Peut-être ne se souvenait-elle même pas des escargots, ou peut-être s'efforçait-elle de ne pas s'en souvenir.

Pourtant, après avoir fait l'amour, elle m'a dit qu'elle m'aimait. Et que c'était la dernière fois. Mais ce ne fut pas le cas. Un peu plus tard, possédés par le désir, nous avons fait l'amour, encore une fois.

Je dois retourner à Varsovie.

Que lui as-tu dit ?

A Hans ?

Qu'il aille au diable ! Hans… Ce type ne pouvait évidemment pas s'appeler autrement. Me faudrait-il donc désormais haïr tous ceux qui s'appellent Hans ? Qu'ils soient voleurs de femmes allemands ou compositeurs talentueux de quatuors à cordes ? Qu'ils soient dévoués serveurs de bar ou nobles peintres en bâtiment ? Me faudrait-il haïr tous ceux dont la seule faute est porter ce prénom : Hans ?

Je lui ai dit que je devais rendre visite à une tante malade.

Les tantes malades. A elles seules, elles ont plus de valeur que toutes les promenades, que tous les week-ends du monde ! Elles valent même davantage que les Allemands. Aujourd'hui nous inaugurons en grande pompe le monument à la Tante Inconnue, et le plus drôle : c'est à moi que revient l'honneur de retirer le voile de cette pièce de marbre. J'ai pensé alors que je raisonnais comme un écrivain. Et de plus en plus, ce qui n'était pas pour me déplaire.

L'heure était venue de reprendre le chemin de la ville. Quand nous sommes arrivés à la hauteur d'un pont démoli, je l'ai fait descendre de bicyclette. Je l'ai attrapée et jetée dans la rivière. La bicyclette, s'entend.

Mais… Qu'est-ce que tu fais ?

Nous ne sommes pas loin, nous allons marcher le long de la voie ferrée. Quand tu étais petite, tu n'as jamais joué à marcher sur les rails ?

Non.

Tu te souviens quand même du jour où tu es venue à la gare me dire au revoir, quand je suis parti au front, avec un parapluie blanc ?

Quel parapluie blanc ?

C'était une façon de parler.

Je voulais gagner du temps. Savourer lentement, tout en marchant, chaque instant passé avec elle. Chacun des derniers instants. Jeter la bicyclette à la rivière était une manière de mettre l'échelle de l'univers de mon côté. Je voulais ralentir le temps, le tenir entre mes mains.

Alma avait emmené avec elle un sac qu'elle n'a pas ouvert de tout le week-end. J'ai pensé qu'il y avait là les vêtements qu'elle enfilerait dès son retour à Varsovie, vierges, propres, exempts de la moindre souillure de bave d'escargot. Si elle est aussi intelligente que je le crois, il est fort possible qu'elle ait également glissé dans ce sac un objet prétendument offert par une hypothétique tante, un cadeau qu'à son retour elle montrera gentiment à son Allemand.

Regarde, Hans mon amour, voilà ce que nous a donné ma tante pour la maison ! Un coffret en céramique, orné de jolies fleurs colorées !

Qu'est-ce que tu as dans ce sac ?, lui ai-je demandé.

Elle ne m'a pas répondu.

Le silence aussi est une réponse, ai-je pensé.

Le silence n'est pas une réponse, lui ai-je dit.

Elle a continué à se taire.

Nous sommes partis sans mot dire, côte à côte, nous avons marché sur la voie ferrée déserte. Puis j'ai pris un peu d'avance, pensant qu'elle allait me rattraper. Mais elle est restée derrière. J'en étais meurtri. Je la voulais à mes côtés, pour la dernière fois, comme quand nous nous promenions le long de la rivière.

Nous aurions dû savoir qu'en temps de guerre, les trains circulent de manière arbitraire, à n'importe quelle heure. Nous aurions dû le savoir, mais nous ne le savions pas. Bien qu'elle fût sur le point d'épouser un Allemand prénommé Hans, et que j'eus, pour ma part, goûté du bout des lèvres aux joies de l'armée, nous n'étions encore que des innocents aux mains nues.

En résumé : avant que le jour ne déchire son voile, nous-mêmes déchirés de l'intérieur, nous nous suivions. Moi devant, elle derrière, sur le bord de la voie ferrée, nous marchions. Elle ne m'avait pas rejoint, elle ne mordrait plus à l'hameçon, ai-je pensé.

C'était le jour des adieux et nous le savions.

Quand nous avons entendu le sifflet du train, nous avons tout juste eu le temps de nous écarter de la voie ferrée. Par réflexe, comme dans la rue de la cannelle en bâtonnet, j'ai tourné la tête vers la gauche, à la recherche d'Alma.

Elle en revanche, sentant le train derrière elle, a tourné la tête vers la droite. Difficile de savoir pourquoi. Il en avait toujours été ainsi, depuis le jour où je l'avais rencontrée. Lorsqu'elle arrivait face à moi dans la rue, au tout début, et qu'elle se réfugiait, intimidée, au milieu des chapeaux en cannelle' Ou quand nous avons commencé à nous promener sur les bords de la Vistule, le soir, en quête de baisers furtifs… Ou encore la dernière fois, quand le train qui m'emmenait au front a démarré et qu'elle m'a dit au revoir… Elle tournait toujours la tête vers la droite.

Ce mouvement de tête, à gauche, à droite, m'a sauvé la vie et a condamné la sienne.

Aujourd'hui encore, dans cet exil parisien, quand je me promène sur les bords de la Seine – les eaux du fleuve sont toujours une consolation pour les exilés, leur fluidité rassurante, contrairement à la terre que je foule, les empêche de se transformer en exil –, chaque fois que quelqu'un que je connais me salue, je tourne la tête vers la gauche, et je sens un vrombissement pénétrant frôler mon oreille droite, tranchant comme une lame.

Je pense que c'est elle. Je pense que c'est un message. Et je me pardonne ma propre imbécillité ; parce qu'imbécillité, ingénuité, et sottise sont choses humaines, et pardonnables dans leur humanité.

Le sac que portait Alma avait vomi ses entrailles à côté de la voie ferrée : c'étaient les lettres que je lui avais envoyées du front. Je n'ai jamais su pourquoi elle les avait apportées, ni ce qu'elle avait l'intention de faire avec ce paquet de lettres.

Le conducteur du train ne se serait même pas rendu compte que le choc avait frappé de biais une femme qui gisait à présent, à quelques mètres de là, le visage ensanglanté. S'il y avait eu un conducteur dans ce train : car de même qu'il existe des gens sans âme, il existe des trains sans machiniste. Les trains avec machiniste ont depuis longtemps été vendus au diable.

Le temps était humide, les escargots sortiraient bientôt de leurs cachettes, portant leurs belles spirales sur le dos, mais trop tard, comme la plupart des idées, pensées, illuminations, stratégies, et bons sentiments, tandis que seul demeurerait le témoignage des dernières ruines et des poutres calcinées.

Je n'ai pas eu le courage d'étreindre son cadavre.

Une rue, une vie ou davantage, brisées, comme un bâtonnet de cannelle.

Agenouillé sur le sol, j'ai ramassé avec rage des brindilles mêlées à la boue au bord de la voie ferrée, les brindilles humides qui ressemblaient le plus à des bâtonnets de cannelle, et entre mes doigts je les ai brisées et déchiquetées. Puis je les ai mis dans ma bouche, pour que la boue et les brindilles étouffent mon cri jusque dans mes tripes.

Etait-ce ma façon à moi d'engloutir le monde pour qu'il disparaisse à jamais de ma vue ? Qui sait ? La grammaire et les fables n'ont jamais suffi à expliquer le désespoir.

Je ne sais combien de temps a duré mon errance, perdu dans la forêt, suppliant par mes cris les francs-tireurs que je pressentais sans les voir, de me tirer dessus. Je n'ai pas eu de chance. Ou peut-être en ai-je eu trop, qui sait ? Avant d'atteindre la ville, au rez-de-chaussée d'une petite gare détruite par les bombes, j'ai aperçu un portemanteau sur lequel étaient suspendus une gabardine et une casquette. Cette image m'a impressionné : parmi les ruines, la gabardine était intacte, comme si le chef de gare allait revenir d'un instant à l'autre.

Tandis que je me dirigeais vers la petite gare, un chien s'est mis à aboyer après moi, avec ou sans raison.

Un aboiement à quatre temps.

Gare-à la-guerre ! Gare-à la-guerre ! semblait-il proclamer.

Le chien secouait la tête, d'un côté, de l'autre, à gauche, à droite, des deux côtés avec la même passion animale. Ou avec la même absence de passion animale, devrais-je sans doute dire, parce que ce maudit chien aboyait avec l'atavisme musculaire de celui qui ignore tout des rues aux parfums de cannelle, des vitrines, des chapeaux et des parapluies blancs.

Gare-à la-guerre ! Gare-à la-guerre !

Je sais, imbécile, je sais ! Tais-toi !

Il s'en est fallu de peu que ce sac d'os ne reçoive de plein fouet le caillou que j'avais ramassé au bord de la voie ferrée. Comme s'il avait compris quelque chose, le chien s'est tu. A cause du caillou ou de mes lamentations, je ne saurais dire.

J'ai observé à nouveau le portemanteau : d'abord le cordon rouge sur la visière de la casquette, et ensuite le sifflet argenté qui pendait de la poche de la gabardine au galon bleu marine.

Ce monde ne nous appartient pas, ai-je pensé : il appartient aux objets, aux choses oubliées, abandonnées, perdues, et non, comme ma nature humaniste m'avait poussé à le penser, un havre de vie pour les femmes et les hommes.

Le chien a recommencé à aboyer. Ma tête était sur le point d'exploser.

J'ai essuyé mes larmes avec la manche de la gabardine suspendue au portemanteau. Le chien continuait à aboyer, et son aboiement était de plus en plus sonore, de plus en plus strident. J'ai pris le sifflet du chef de gare et j'ai sifflé de toutes mes forces.

Un son discordant a retenti. Aucune tourneuse de page n'est venue tourner la page blanche déchirée du mur de la gare.

Mais le chien, tout à coup, s'est tu.

Tandis que je continuais à marcher sur la voie ferrée, le chien est arrivé derrière moi, calme et obéissant, comme si un lien, que je ne comprenais pas mais que lui voyait clairement, l'attachait à moi.

Je ne saurais dire combien de temps j'ai marché. Je suis arrivé à la frontière, les chaussures pleines de boue, les chaussettes trempées. Le panneau indiquant la frontière était toujours là, mais il n'y avait personne. Impossible, donc, de savoir si elle était encore la frontière de quelque chose, de quelque part. A qui poser la question ? Vers quoi se tourner ?

Nous nous sommes regardés, le chien et moi, déroutés. La peau qui couvrait à peine ses côtes saillantes était de couleur marron clair.

On continue vers l'ouest, Cannelle.

Après tout, ai-je pensé, lui aussi méritait d'avoir un nom.

A mesure que nous poursuivions notre marche, à travers la rue principale d'un hameau désert anéanti par les avions de chasse, je me suis efforcé de raconter au chien la rue de la cannelle.

Dans la rue flottait un parfum de cannelle. Pas de cannelle en poudre, mais de cannelle en bâtonnet. C'est différent, tu le savais ? Très différent.

Je ne dirais pas que le chien n'était pas heureux de m'accompagner, je ne dirais pas non plus que, par la grâce de son récent baptême, il n'avait pas plaisir à saluer le boulanger, le chapelier, et tous ceux qui circulaient dans la rue, ces fantômes que je venais de construire de mes mots. Sinon, comment interpréter ces sauts de joie et ces aboiements rythmés ? Moi, je tendais la main à des poignées de portes et de fenêtres écroulées, sur le point de se libérer de leurs charnières ; j'étreignais les portes-fenêtres des porches sous les décombres, comme si elles étaient vivantes ; je saluais les portillons brisés, j'embrassais les poutres calcinées, tombées en titubant ; avec la plus grande courtoisie, je m'adressais aux poignées, aux décombres, aux poutres pulvérisées. Si j'avais apporté la casquette du chef de gare, je n'aurais pas manqué de la retirer, par éducation, devant des gens qui en valaient la peine. Comment allez-vous Monsieur Minkiewicz ?, ai-je demandé à mon propre reflet vieilli aperçu dans un morceau de vitre brisé, beau temps pour vos rhumatismes, n'est-ce pas ? Apporte-moi un Kurier, jeune homme… Tout le monde va bien chez vous, Kotkowski ? Tiens, le plus jeune aussi va se marier, on peut dire que chez vous, au moins, les petits pains ne manqueront pas ! Ou bien, plus doucement encore, tout en posant ma main sur un bouton de porte autrefois doré : chez Minkiewicz les chapeaux sont en cannelle, tu ne crois pas ?

J'étais étonnamment optimiste, poussé par une énergie féroce. Quand vous tremblez de froid et de peur, vous n'avez qu'une chose à faire : hurler, contraindre, par la force du poignard, ce dieu prodigue, paresseux, et ridicule qui vit à l'intérieur de vous, à quitter les lieux. Sors par la fenêtre, défie les francs-tireurs, ris par-dessus leur épaule, et qu'eux aussi rient de toi ! Nous n'avons pas besoin de prédicateurs, mais de bouffons ! De bouffons !

Et tandis que je hurlais ma déraison, je tournais systématiquement la tête, cette tête-bambou qui commandait à l'hameçon des regards, en direction de mon auditoire, toujours avec la plus grande courtoisie, en lui donnant cette sage et généreuse inclinaison de quarante cinq degrés qu'exigent les us et coutumes de mon pays, et qui laisse entendre à son prochain que l'on sera prêt, en toutes circonstances, à lui venir en aide.

J'ai souhaité bonne chance au village-fantôme et salué les gens de mes voeux, le chien toujours à mes côtés, la langue pendante et un éclat dans le regard, comme s'il avait entendu parler de l'histoire de cet écuyer à qui son maître avait offert une île parce qu'il l'avait aidé à combattre d'hypothétiques moulins.

Qu'est-ce que je pourrais bien t'offrir, sac à puces ?

Je devais quitter les lieux, sans tarder. Je me suis mis à courir et j'ai senti sous mes pieds un craquement désagréable. Une sensation de coquilles d'escargots que l'on mastique, et de brisures qui crissent entre les dents. Le crépitement de la forêt, non pas dans ma bouche, mais comme un frisson sous mes pieds. Qu'est-ce que l'impuissance, sinon cette impression d'avoir sous les pieds, à la place des talons, des bouches aux lèvres cousues ? Cet état d'asphyxie qui fait que l'on voudrait, sans le pouvoir, crier aussi par les pieds, pour se débarrasser de la rage que l'on a en soi.

Les premiers flocons semblaient résister, pourtant le ciel était à la neige. Et c'était suffisant pour empêcher les avions de chasse de décoller.

J'ai continué à courir, conscient qu'il me faudrait mille ans pour effacer les gestes de cette valse maladroite et pathétique que dessinait mon désespoir. J'ai continué à courir en écrasant des gorges qui n'étaient que brindilles brisées. La tête droite, sans regarder derrière.