La traduction de langues minoritaires. Le galicien
Ana Luna Alonso

(Université de Vigo)


Résumé

Nous avons commencé l'article en nous livrant à une réflexion sur la nécessité - ou pas - d'étudier le processus de traduction entre langues minoritaires dans le cadre de la Recherche sur la Traduction en tant que sujet d'étude indépendant.

A mon avis, il est très clair que les situations de médiation ne seront jamais identiques pour toutes les langues et cultures ; parce que les différences qui existent sur le plan économique, historique, sociologique, ou encore politique, conditionnent l'ensemble des relations culturelles. Nous en avons un exemple en Espagne même où les situations sont multiples et différentes, même si en apparence les langues cooficielles (catalan, euskara et galicien) sont régies par un même statut, chacune dans son territoire.

Ainsi, après avoir jeté un rapide coup d'oeil sur l'histoire de la traduction en galicien, cette recherche fournit quelques données qui, à notre avis, apportent des réponses à certaines questions déterminantes ; par exemple, que traduit-on ? (qu'importe t-on et qu'exporte t-on ?), quand ?, comment ?, avec quelles combinaisons travaille t-on ?, qui traduit ?... Enfin, disons que nous avons l'intention de poursuivre ce projet et d'étudier le comportement de la traduction en se basant sur les textes traduits.


Le souci d'analyser le comportement de la traduction des langues minorisées n'existe réellement que depuis quelques années ou, peut-être nous conviendrait-il de dire que ces intérêts étaient jusqu'alors ignorés par une grande partie de la communauté scientifique en raison des difficultés qu'avaient ces langues à être diffusées.

Comme affirme Zabaleta ( 2002 ), la plupart des écoles et des théories de la traduction se sont souciées de savoir comment résoudre les problèmes de traduction entre des langues majoritaires mais ne se sont point intéressées ou ne s'intéressent désormais plus à se demander pourquoi, quand, comment et ce qui est traduit depuis ou vers une langue minorisée.

Il nous faudrait également répondre à toutes ces questions dans le cadre de la traduction des langues majoritaires, puisque la détermination du pourquoi, du comment et du quand la traduction existe-t-elle détermine également le comportement de la traduction de ce genre de combinaison linguistique. Dans notre domaine d'étude, l'orientation générale a cependant changé ces dernières années vers la recherche du comment et de ses différentes applications théoriques ou pratiques. D'autre part, et c'est précisément là une des caractéristiques qui distingue la traduction de certaines combinaisons linguistiques, le besoin de communication est, bien entendu, la raison fondamentale qui incite à la traduction entre les langues et les cultures.

Cette brève réflexion nous permet d'affirmer que ni les tendances, ni les résultats obtenus dans les travaux réalisés entre des langues à statuts différents ne peuvent être égaux, même pas lorsque la traduction est réalisée à l'intérieur d'un seul État, puisque les conditions particularisant les différents processus de communication sont divergentes. Ce qui nous paraît fondamental c'est que le contexte dans lequel la traduction est réalisée n'est pas le même et que cela ne doit en aucun cas nous mener à établir des différences superflues entre les langues lors de l'élaboration d'un travail de recherche.

La demande réelle de traduction entre les langues minoritaires coexistant dans un même État avec une ou plusieurs langues majoritaires, en tant que langues co-officielles ou non, prouve que la différence se revendique au travers de la différence et le volume de traduction qui existe parmi ces dernières peut nous indiquer le statut de la langue, tant sur le plan social que sur le plan institutionnel.

C'est pour cette raison que les défenseurs de la pluralité linguistique s'intéressent à décrire la situation de la langue et le contexte de la traduction. En effet, la connaissance des critères ( ou des normes, comme nous le verrons plus tard ), à savoir quand, pour qui, pourquoi et qu'est-ce que l'on traduit, ne nous permet pas seulement de prévoir des résultats communs ( pour toutes les langues ) quant à la nature du comportement de la traduction, mais nous présente également des données particulièrement intéressantes pour prévoir les besoins de traduction relatifs aux changements concrets du statut d'une langue applicables à long ou à moyen terme à la planification et à la politique linguistique à créer.

L'étude socioculturelle de la traduction « de » ou « entre » des langues/cultures minorisées nous oblige à traiter la traduction plutôt comme une activité intermédiaire ayant un rôle normalisateur très clair que comme un outil servant à faciliter la compréhension entre les langues et les cultures.

Nous disposons actuellement de plusieurs travaux de recherche dans le domaine de la traduction des langues minoritaires dans différentes communautés bilingues et plurilingues. Ces travaux examinent s'il est pertinent de généraliser les langues minoritaires, c'est-à-dire de les considérer comme un ensemble indépendant ( García, 2001 ) , plutôt que de centrer l'étude de la traduction sur les problèmes ou les caractéristiques de la traduction de couples de langues de manière générale en vue de déterminer les raisons conditionnant la pratique de la traduction dans les langues subordonnées.

En admettant que la perte de stabilité de leurs rapports linguistiques à l'intérieur d'un État ou hors de celui-ci soit une des caractéristiques communes à toutes les langues minorisées, nous devons reconnaître que promouvoir ou non la traduction peut avoir des conséquences positives ou négatives sur l'évolution normale d'une langue. La langue minorisée peut perdre du terrain quant à son usage ou devenir inutile dans certains domaines ou dans certaines situations en fonction du volume des traductions. Dans tous les cas, néanmoins, le volume ainsi que le genre de traductions réalisées seront modifiés par chaque situation sociolinguistique particulière.

Dans Descriptive Translation Studies and Beyond, Gideon Toury ( 1995 : 5 ) fait la promesse de rédiger un nouvel ouvrage dans lequel il prétend élaborer les lois du comportement de la traduction, c'est-à-dire les lois générales et indépendantes des langues. Nous soulignons l'expression « indépendantes des langues » , à ne pas confondre avec la situation concrète de chaque langue à un moment historique. Même si celles-ci ont été déduites à partir de la situation d'une langue spécifique à un moment historique déterminé, les lois que nous propose Toury sont ou peuvent donc être valables pour tous les couples de langues. D'un point de vue général, les décisions prises par le traducteur dépendent de ces lois déduites à partir de l'observation et de l'analyse de nombreuses traductions et qui, pour cette même raison, sont des lois étrangères aux textes. Il serait même possible d'affirmer que ce sont des lois externes au processus de la traduction en soi dans le sens où le traducteur n'est pas toujours conscient ( ni n'est contraint à l'être ) de leur existence ou de leur fonctionnement.

En 1980, Toury décrit son concept de « normes » et définit les « normes préliminaires » comme des facteurs ayant une influence sur la stratégie générale de la traduction et sur le choix des textes à traduire. En admettant que la traduction est une activité sociale et que le traducteur joue un rôle particulier dans une société donnée et à un moment précis ( Toury, 1995 : 53 ) , il faut donc accepter que la recherche des circonstances qui ont déterminé les diverses décisions prises par le traducteur ou les conditions imposées par l'initiateur qui ont donné lieu à un texte particulier, consiste à essayer de reconstruire les normes qu'une société donnée à un moment historique donné a accepté comme normes de comportement social satisfaisantes pour un traducteur, pour une traduction et pour des objectifs spécifiques.

Toury ( 1995 : 58 ) termine son exposition en énumérant deux grands groupes de normes. Il définit premièrement les normes préliminaires se rapportant à la tolérance des traductions indirectes et aux politiques de traduction ( choix des auteurs, textes, détermination d'objectifs d'après les différents groupes récepteurs, etc. ) . Les normes préliminaires déterminent les étapes qui précèdent le processus de la traduction, les étapes précédentes ( le choix des textes, etc. ) que le traducteur ne connaît pas nécessairement. Le second groupe est composé des normes opératives gérant la prise de décision pendant le processus de la traduction et se rapportant aussi bien à la distribution du matériel linguistique à l'intérieur du texte qu'à sa formulation verbale, et définissant le rapport entre le texte de départ et le texte d'arrivée.

Les deux groupes de normes ne sont en aucun cas indépendants l'un de l'autre. En effet, le choix initial entre l'adhésion aux normes ( stylistiques, grammaticales, textuelles, littéraires, etc. ) du texte et de la culture de départ et le respect des normes propres à la culture d'arrivée déterminent, d'après Toury, aussi bien la manipulation du matériel linguistique que les politiques ( éditoriales ) de la traduction ou les interventions normatives faites par les autorités compétentes qui utilisent la traduction comme un outil.

Nous sommes d'avis qu'il n'est possible d'analyser les normes qui ont dirigé la création des textes traduits, qu'après avoir examiné ce qui est traduit. Pour avoir accès à ces normes ainsi qu'au processus qu'elles ont déterminé, il nous faut prendre comme point de départ les textes traduits puisqu'il n'existe aucune étude empirique. De plus, il ne faut pas oublier les sources extratextuelles dont Toury fait également mention : les formulations critiques ou semi-théoriques rédigées par des traducteurs, des éditeurs, etc. où sont recueillies les idées directrices pour la traduction ou pour l'intervention normative dans tous les genres de textes, s'agissant ou non d'une traduction.

Les travaux de Álvarez ( 2001 ) et de Montero ( 2002 et 2004 ) se centrent, en ce sens, sur la recherche de lois ( normes de comportement opérationnelles ) pour la traduction dans les combinaisons linguistiques anglais > galicien et allemand > galicien respectivement. Leur domaine d'action est celui de la traduction littéraire, un domaine plus restreint et spécifique disposant d'un matériel suffisamment considérable ( plus important dans la combinaison anglais > galicien ) permettant de développer leur étude de corpus. Même si ces deux travaux examinent un couple de langues très spécifique, dont l'une est très minorisée, il est néanmoins possible, selon leurs auteurs, d'extrapoler leur nature ( et non pas leur contenu ) à d'autres couples de langues. Ces mêmes auteurs soulignent le besoin d'aller au-delà du quoi, du comment et du pourquoi pour s'arrêter sur le comment entre ces langues dans le cadre des études de traduction[1].

Ces premières pages, nous l'espérons, auront permis à notre lecteur de réfléchir sur le besoin d'analyser le processus de traduction entre des langues minorisées en le considérant comme un domaine d'étude séparé au sein des Études de Traduction ou, au contraire, de considérer cette analyse comme une combinaison linguistique ayant de claires caractéristiques sociologiques différentes. Remarquons néanmoins que cet article vise avant tout à faire connaître, même si ce n'est que d'une manière succincte, les différentes positions à ce propos et à manifester notre inquiétude face au danger que la tendance à faire de la traduction des langues minorisées une sorte de ghetto dans le domaine des Études de Traduction peut représenter, d'après nous, pour la normalisation de notre système.

Il est évident que le contexte qui entoure la traduction n'est pas le même pour toutes les langues, puisque les différentes sphères sociologique, historique, économique et politique, parmi d'autres, entretiennent une étroite corrélation avec les modes de rapport culturel même s'il s'agit de la traduction de langues minorisées. La preuve en est que même dans l'État espagnol où les langues co-officielles ( catalan, basque et galicien ) coexistent apparemment avec le même statut à l'intérieur de leurs territoires respectifs, la situation est différente. De plus, cela peut influencer négativement le développement de leur systèmes littéraires respectifs ( si nous nous limitons à ne traiter que ce thème ) et, en conséquence, la normalisation linguistique de ces langues et de ces cultures.

Dans certains cas, la traduction entre des langues minorisées répond à des besoins de communication ; dans d'autres, la traduction est exigée par une situation de plurilinguisme officiel à l'intérieur d'un État qui n'implique pas nécessairement le bilinguisme de ses habitants. Il importe également d'ajouter le refus des membres d'un groupe linguistique établi à l'intérieur d'un territoire bilingue ou plurilingue ( officiel ou non ) de parler dans d'autres langues, même s'ils connaissent celles-ci. Dans tous les cas, il semble assez clair que les rapports de force sont toujours présents et qu'ils accomplissent une fonction impossible à éviter.

Les spécialistes en traduction, et en particulier ceux qui travaillent avec des langues minorisées, considèrent que ce qui est essentiel dans les normes ce sont les différents jeux de force qu'elles nous révèlent et qui sont plus importants que les restrictions qu'imposent les différents genres de textes. Il s'agit de certaines tensions dialectiques se manifestant d'une part dans les transactions entre les sociétés et les cultures et de l'autre à l'intérieur de chaque société :

a) Les relations de force entre les cultures qui se traduisent les unes aux autres, c'est-à-dire les hiérarchies entre les cultures « fortes » et « faibles », normalisées ou non, avec ou sans histoire écrite, etc.

b) Les rapports de force entre le traducteur et les différentes autorités ( culturelles, politiques, etc. ) intervenant dans la gestation de la traduction, principalement dans les rôles d'initiateurs et/ou d'élaborateurs du canon des traductions.

c) Les rapports de pouvoir entre le traducteur et son public d'arrivée potentiel se matérialisant fondamentalement dans le choix entre l'adéquation et l'acceptabilité.

Il est facile de nous imaginer que dans notre communauté linguistique, aussi bien les hispanophones que les galegophones pourraient se comprendre sans avoir recours à la traduction ; cependant, le rôle que joue la traduction dans ce couple de langues est celui d'assurer les droits des habitants parlant la langue propre et minorisée au cours des siècles. Nous n'allons pas soulever ici de débats sur les mécanismes à utiliser pour arriver à récupérer une langue faible. Nous prétendons seulement que toutes le personnes qui parlent galicien puissent mener une vie normale dans leur langue, un espace où la traduction joue un rôle considérable. C'est pourquoi une activité communicative telle que la traduction ne doit pas toujours dépendre d'un manque de compréhension, même si celui-ci existe aussi lorsqu'il s'agit d'établir des rapports dans « une situation normale » avec d'autres communautés et d'autres cultures différentes de l'espagnol.

La conscience historique

Il nous faut maintenant rappeler brièvement combien il est important de connaître le contexte socioculturel dans lequel s'inscrit la traduction, en particulier la traduction littéraire, pour étudier le comportement de la traduction en langue galicienne. Il est important de savoir ce que l'on traduit, quelles sont les combinaisons linguistiques avec lesquelles on travaille, ce qui est importé, ce qui est exporté, qui réalise la traduction, etc. Étant donné la limitation d'espace qui nous est imposée, nous n'allons présenter ici que quelques données nous servant à nous situer dans le processus diachronique et laissons les commentaires relatifs à la production la plus récente pour de futurs travaux de recherche, ainsi que l'analyse plus élaborée des statistiques et des textes, que nous considérons essentielle pour tirer des conclusions et pour disposer d'éléments nous permettant d'avancer dans l'application des résultats dans des domaines tels que l'enseignement de la traduction.

L'histoire nous montre comment la langue galicienne a traversé des périodes de « normalité » ( XVIe siècle ) où les documents publics et la littérature étaient rédigés en galicien. L'évolution des lettres galiciennes a été marquée par la période où le Portugal devient un territoire indépendant parmi les nouveaux états péninsulaires créés au XIIe siècle. Les premiers textes conservés dans notre langue datent du début du XIIIe siècle. À l'époque de la plus grande splendeur de notre littérature écrite en galicien nous trouvons les chansons d'amour, d'amitié et de moquerie médiévales, puis les textes religieux et didactiques en prose. La pression de la monarchie de Castille et de León empêcha cependant la création d'une prose autochtone ce qui provoqua la diminution du nombre de traductions en galicien, représentées par quelques textes historiques et narratifs, jusqu'à la complète disparition de la culture galicienne au profit de la culture castillane au XVe siècle ( Noia, 1995 ).

L'espagnol ne commence à gagner du terrain en Galice qu'à la fin du Moyen-Âge mais n'est employé que par un très petit pourcentage de la population jusqu'au XIXe siècle, représenté par les plus hautes couches sociales originaires de régions extérieures à la Galice. L'établissement d'une noblesse étrangère, intransigeante avec la culture et la langue galicienne accéléra considérablement le processus de castillanisation et fit disparaître le galicien dans les usages écrits contrairement à l'espagnol et au portugais qui, après une étape de fixation et de codification, devinrent des « langues de culture » aux dépens du galicien qui n'était employé qu'oralement.

C'est ainsi que le code galicien fut destiné pendant longtemps à n'être utilisé que très peu comme langue familière et rurale avec une littérature exclusivement orale. Le petit nombre de traductions que l'on conserve ont été réalisées soit pour pouvoir accéder aux œuvres en castillan ou en latin qui s'avéraient incompréhensibles pour ceux qui ignoraient ces langues : la Crónica Troiana et la Crónica de Castilla ; soit pour témoigner de l'existence d'une littérature écrite dans la langue du pays : la Crónica de Santa María de Iria.

Entre le XVe et le XIXe siècle, le galicien perdit peu à peu son unité à cause de sa décentralisation linguistique ( absence de culture littéraire, d'une étude scientifique et d'un modèle de culture ) , géographique ( absence d'un centre politique pouvant élaborer et imposer un modèle linguistique ) et sociale ( vulgarisation de la langue ) . Tandis qu'il était parlé par la majorité de la population, le galicien céda sa place à l'espagnol qui devint la seule langue officielle dans tous les domaines. C'est ainsi que l'espagnol finit par devenir la langue de la ville, de la culture, de la richesse et du progrès et le galicien la langue de la campagne, de l'inculture, de la pauvreté et du retard.

Jusqu'au XIXe siècle encore, les traductions vers le galicien n'étaient pas réalisées puisqu'on le considérait comme une langue rurale et contraire à la culture. Comme aucun texte n'était traduit, excepté quelques œuvres classiques par intérêts particuliers ( une version galicienne d'Horace en 1885, les Odes d'Anakreon en 1897 ou le livre IV de l'Énéide de Virgile ) , le galicien allait mettre du temps à devenir à nouveau une langue de prestige.

Le galicien est en effet une langue minorisée à laquelle on a ôté son prestige social, qui a vu ses utilisateurs diminuer massivement au cours du XXe siècle et qui a cessé d'être transmise de génération en génération pendant la deuxième moitié du siècle passé. De plus, le franquisme et sa politique consistant à marginaliser la langue galicienne de la vie publique, du système éducatif et des médias de masse ainsi que l'appauvrissement progressif du milieu rural galicien augmentèrent l'émigration qui avait déjà commencé vers la moitié du XIXe siècle.

Malgré tout ce que nous venons d'exposer, l'enracinement du galicien dans le milieu rural favorise son emploi habituel parmi beaucoup d'adultes, les personnes âgées sans formation et les basses couches sociales. Il nous faut ajouter que la politique officielle des gouvernements autonomes successifs des vingt dernières années en matière de normalisation linguistique s'est fondée sur la doctrine du célèbre « bilinguisme harmonique » et s'est consacrée principalement à défendre les droits des hispanophones en oubliant de dynamiser la survie du galicien. L'Administration, dont le rôle devrait être de proposer des moyens d'action et de définir les critères d'évaluation susceptibles de mettre fin au processus de régression, ne fait preuve que d'abandon et d'indifférence à l'égard de la planification.

La traduction d'une langue minorisée doit s'incorporer à un processus planifié de normalisation ayant comme point de départ une situation explicite, se proposant des objectifs précis dans un certain laps de temps, disposant des moyens de diffusion et des ressources d'implantation adéquats ainsi que d'une législation favorisant ce processus de changement.

Il faut d'une part tenir compte du fait que la traduction est nécessaire suivant le contexte où elle s'insère et le volume de production et d'une autre que la langue est soit très normalisée soit sous la dépendance de la langue dominante. La traduction constante de documents de la langue majoritaire vers la langue minorisée peut, en effet, nous indiquer que cette dernière ne possède pas encore suffisamment de modèles propres pour être utilisée dans tous les domaines de la vie publique et privée. Au contraire, la traduction de la langue minorisée vers la langue majoritaire, et surtout vers d'autres langues majoritaires, est un indicateur positif de la situation de la langue, c'est-à-dire que ses utilisateurs l'emploient au-delà des frontières de leur communauté et que les personnes parlant d'autres langues reconnaissent son identité propre et indépendante de la langue majoritaire.

Les politiques de traduction

L'espace qu'occupe la traduction dans le développement d'un système littéraire d'arrivée s'avère un domaine de recherche favorisé par son rôle complexe et influent dans le système littéraire de réception.

Si nous considérons la traduction comme une activité créative ( quelquefois manipulatrice ), comme une source d'information, comme un espace utilisé stratégiquement par les moyens institutionnels du système littéraire, linguistique et culturel, comme un effort pour améliorer les traductions précédentes, comme une lecture intertextuelle et comme un sous-système améliorant et s'unissant à d'autres systèmes littéraires, il est nécessaire d'étudier le système de réception. Il faut effectivement savoir qui décide et comment décide-t-on de réaliser une traduction, quels sont les textes canoniques et leurs fonctions dans la légitimation du processus de normalisation en tant que moyen de production d'images sociales et quel est son rôle comme moyen contribuant à l'existence de l'identité nationale.

D'après ce que nous avons exposé, la recherche des circonstances ayant déterminé les décisions prises par le traducteur et des conditions qui lui ont été imposées est fondamentale pour découvrir les normes préliminaires qui ont défini une traduction. Dans les pages suivantes, nous décrirons brièvement à notre lecteur le contexte dans lequel s'inscrivent le récent processus de sélection des textes et la politique de traduction.

Nous ne disposons pas encore de registre exhaustif recueillant les données sur la traduction en galicien[2], et c'est pourquoi il nous faut avoir recours aux banques de l'ISBN que nous offrent le Ministère de l'éducation espagnol et d'autres institutions ou à celles dont disposent d'autres organismes s'étant consacrés à recueillir ensemble des informations sur la création et la traduction dans notre langue[3]. Pour élaborer notre étude de la traduction nous nous sommes servis des données rassemblées par G. Constenla dans la revue Viceversa ( 1995-2005 ) et dans l'Anuario de Estudios Literarios Galegos ( 1995-2005 ) aux cours de ces dernières années ainsi que des résultats obtenus dans un travail de fin d'études qu'il a lui-même dirigé et défendu dans notre Faculté au sujet des traductions publiées en galicien de 1953 à 1997 ( Rubio 1999 ) . Si nous en croyons les données, la plus grande production de traductions en Galice commence à partir de 1983, année pendant laquelle la loi de normalisation linguistique du galicien ( LNL, Lei de normalización lingüística ) devient publique. L'évolution n'a cessé d'être positive jusqu'en 1998 où le processus s'est inversé de manière inquiétante. Dans ce même travail, nous observons que les publications d'enfance et de jeunesse sont à la tête du marché, comme c'est encore le cas aujourd'hui. On constate également que, pour des raisons de dépendance culturelle de la langue majoritaire, le plus grand nombre de traductions a été réalisé depuis l'espagnol, tandis que le pourcentage des livres traduits de l'anglais, du français, de l'allemand, de l'italien et du portugais est nettement moins important. L'augmentation du nombre de traductions vers l'espagnol est une autre des données intéressantes que l'on peut tirer de son travail, puisqu'elle nous indique que nous pouvons tomber sur la même œuvre dans les deux langues de la communauté en concurrence dans le même marché.

Les données que nous présente l'Index Translationum[4] sur le panorama actuel de la traduction maintiennent les chiffres du nombre des importations et des exportations depuis l'espagnol beaucoup plus élevés que depuis d'autres langues.

La sélection des traductions en galicien répond généralement à des raisons commerciales dépendant d'accords entre les éditions ainsi qu'à des facteurs tels que les droits d'auteur et de traduction. Notre système littéraire manque toujours et encore d'œuvres traduites depuis des langues étrangères. Les œuvres qui se traduisent le plus souvent sont celles qui font partie de la « littérature classique universelle » n'ayant pas de droit d'auteur, coûtant moins chères et n'ayant pas été traduites en espagnol. C'est pourquoi nous nous trouvons généralement avec les œuvres mineures des « grands auteurs de la littérature universelle » qui ne servent qu'à conformer un système littéraire anachronique et pauvre.

Le manque de soutien des institutions responsables de dynamiser le secteur du livre et la langue du pays est une des raisons de poids de la stagnation de notre système en matière d'importation et d'exportation depuis plus d'une vingtaine d'années. Il ne suffit que de comparer les données de production en galicien avec celle dans d'autres langues de l'État espagnol, comme le catalan. En plus de cette absence de soutien, les éditions ont des difficultés économiques à éditer en galicien des œuvres contemporaines importées. C'est pourquoi la situation actuelle est pratiquement la même que lorsque les auteurs du début du siècle dernier décidèrent, sans aucun genre de planification et de façon altruiste, de traduire les œuvres qu'ils considéraient intéressantes et susceptibles de donner du prestige à la langue galicienne.

Nous avons déjà fait allusion aux conséquences que peut avoir la sélection des œuvres traduites sur le système. La littérature d'enfance et de jeunesse peut également nous apporter d'intéressantes données pour l'analyse de la littérature traduite, après avoir déterminé, bien évidemment, quelle est la nature de la traduction de ce genre de littérature d'une langue à une autre, quand et comment cette traduction (ou cette version-adaptation ) se réalise-t-elle dans la plupart des œuvres, quels sont les contenus qui y sont transposés et, étant donné que les facteurs économiques influencent tout le processus, ce qui est traduit, depuis quelles langues ( comme nous l'avons déjà dit, la plupart des traductions se font depuis l'espagnol et bien moins depuis les autres langues de l'État ) et, enfin, ce qu'apporte la traduction à la formation des pensées des plus jeunes et des créateurs.

Nous disposons donc d'œuvres traduites qui répondent à des critères bien peu définis et très variés et qui prétendent servir à la normalisation, même si le résultat ne contribue qu'à « disloquer les références contemporaines du lecteur » ( Cruces, 1993 : 63 ) , ce qui pousse la plus grande partie du public voulant suivre la « normalité » des créations étrangères à consommer préférablement la littérature traduite en espagnol.

Ainsi, pouvons-nous affirmer que peu de changements ont eu lieu au cours de ces dernières années. Lors de la première étape de la traduction en galicien, l'intention des intellectuels consacrés à la traduction était celle de donner à la langue une estime de soi en la valorisant à l'extérieur de nos frontières et en essayant de trouver des ressemblances et des similitudes dans les différentes cultures environnantes.

Depuis le XIXe siècle, les historiens soucieux de reconstruire notre passé ont donné à la supposée identité celtique de la Galice une valeur de mythe de fondation de la nation galicienne. L'Irlande et le celtisme sont deux ingrédients qui ont contribué à conformer notre réalité culturelle comme des éléments de référence, soit dans le milieu politique comme un modèle de lutte pour la libération nationale ( déjà présent depuis la création du mouvement régionaliste ) , soit comme un exemple culturel et un modèle à suivre. Les traits culturels du théâtre se retrouvent, par exemple, dans le théâtre créé par le mouvement nationaliste des Irmandades da Fala depuis la fin des années vingt jusqu'au début de la Guerre civile espagnole.

Dans ce même contexte, les auteurs de la Xeración Nós, apparue à Ourense dans la revue du même nom, et en particulier Vicente Risco, cherchent l'inspiration dans l'Atlantique, dans tout ce qui est nordique et anticlassique pour s'opposer au centralisme castillan et au monde classique de la Méditerranée. C'est dans cette atmosphère intellectuelle que nous devons situer les traductions qui parurent dans différents numéros de la revue Nós au cours de l'année 1931. Dans la perspective du mouvement linguistique galicien, la création et la traduction servent à établir l'idée d'une culture galicienne qui fusionne avec le monde celtique, une culture nordique et atlantique complètement différente de la culture dominante de l'Espagne méditerranéenne. La traduction serait donc un autre exemple de cet attrait irlandais où l'on retrouve cet intérêt pour des personnages comme Yeats, Synge ou Joyce.

La norme consistait à tergiverser l'intention des textes pour parvenir à créer un texte plus « galicien », aussi bien du point de vue du lexique que de celui des structures et des descriptions. Ce qu'il fallait c'était surtout rejeter les ressemblances avec le castillan pour créer un texte plus « authentique », à tel point que les formes galiciennes qui coïncidaient avec celles en castillan étaient supprimées et remplacées par des synonymes, des archaïsmes ou d'autres inventions. À cette époque, les traductions servaient à récupérer la langue et tout autre genre de considération n'avait aucune importance. Le texte original était sacrifié uniquement pour obéir à l'idéal politique galicien. Ainsi, les raisons politiques et idéologiques l'emportaient sur tout autre genre de comportement. Les systèmes faibles sont généralement les plus réceptifs et les moins sélectifs et le fait qu'une certaine littérature soit perméable à toutes sortes d'éléments étrangers peut aboutir à la disparition progressive de la littérature en question.

Aujourd'hui, la situation n'a pas beaucoup changé : les exportations sont toujours supérieures aux importations et l'on traduit encore beaucoup depuis l'espagnol pour éviter un supposé conflit linguistique que l'on croit éliminer en supprimant en apparence le complexe de dépendance. Du point de vue de la diglossie, nous constatons qu'il existe un refus conscient du système littéraire véhiculé par la langue dominante et une recherche dans le temps de signes pouvant contribuer à l'identification de la culture de la langue secondaire.

Même si l'on s'efforce de choisir des œuvres contemporaines provenant d'autres cultures et même si leurs traducteurs, qui sont également leurs créateurs, sont des professionnels ayant suivi une formation à la Facultade de Filoloxía e Tradución de l'Universidade de Vigo, la normalisation de notre système littéraire au travers de la traduction semble encore avoir un caractère symbolique. Comparé avec les décennies précédentes, la norme opérative a un peu changé, mais l'absence de critères dans la sélection des œuvres semble malheureusement être le critère le plus utilisé.

Conclusions

Le comportement de la traduction littéraire en galicien se caractérise par l'existence de plusieurs perspectives à fonctions et à éléments différents. D'un côté, une perspective de la littérature écrite en espagnol qui représente une menace, une littérature que l'on voudrait considérer comme étrangère, même si sa présence continue d'être constante depuis l'école jusqu'à l'université et dont les codes et modèles passent à l'écriture et à la formation des lecteurs depuis le bas âge. Il existe également une perspective étrangère imaginée comme quelque chose de relatif, de similaire, comme c'est le cas du Portugal ( et non sans préjudices ) . Il existe aussi une perspective solidaire vers d'autres systèmes littéraires considérés plus ou moins analogues ( non seulement les exemples de la Catalogne et du Pays Basque, mais également ceux des autres littératures provenant des espaces lointains qu'on qualifie d'« exotiques » . Et pour terminer, une perspective vers celles que l'on considère encore les « grandes littératures » desquelles naissent des rapports importants à sens unique qui continuent d'être intéressants aujourd'hui, même si les attitudes et les modalités ont évolué à tel point qu'il n'existe que peu de traductions réalisées pour l'extérieur.

Dans un de ses travaux réalisé il y a plus de dix ans, Susana Cruces ( 1993 : 61 ) remarquait qu'entre 1982 et 1989 le nombre de publications en galicien et le nombre de traductions avaient doublé ; « pero a proporción das traduccións mantense constante, o que quere dicir que o sistema non parece demandar un maior número de importacións ». La tendance à la baisse de la publication des traductions pouvait être attribué à l'époque que nous vivions alors ( et dans laquelle on se trouve encore aujourd'hui ) où il était fondamental de compter plus de production propre. C'est peut-être là la raison pour laquelle il ne fallait pas importer de manière systématique ; mais il est également vrai que cette involution qui avait commencé dans les années quatre-vingt-dix s'est maintenue jusqu'à aujourd'hui, à tel point que non seulement le processus d'importation mais surtout celui d'exportation aient de sérieux problèmes. Comme il est bien connu, l'exportation est aussi nécessaire que l'importation pour tous les systèmes littéraires désirant survivre.

Un système dont la situation est normale ne peut pas vivre que de la traduction littéraire pour les plus petits ni seulement de la création. Le manque de promotion de la lecture en galicien ( et non seulement à l'intérieur de notre territoire physique ) doit aller au-delà du milieu scolaire et demander les œuvres produites de manière synchronique. Le fait de dépendre d'une subvention ( à chaque fois plus petite ) pour pouvoir publier ou traduire une œuvre et manquer ( ou négliger ) des voies nécessaires de diffusion pour se faire connaître hors du milieu linguistique propre limite considérablement les possibilités de normalisation.

Si les maisons d'éditions n'en finissent pas avec cette anarchie envers le choix des œuvres, c'est parce qu'il n'existe pas de soutien clair des institutions à ce secteur. De son côté, l'Administration exerce ainsi un certain contrôle sur les productions et les traductions et empêche de par son attitude d'aller plus loin en favorisant cette impression qu'il existe une claire négligence à l'égard des produits culturels dans notre langue et en abandonnant sa responsabilité qui continue d'être entre les mains d'un groupe de « volontaires et d'activistes linguistiques » se situant à la périphérie du système.

Bibliographie

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Notes

1. Les cas spécifiques montrant comment le contexte socio-historique détermine des décisions de traduction concernant des questions concrètes comme le choix du lexique sont ceux que Álvarez Lugrís ( 2001 ) décrit le plus en détail à propos de la traduction galicienne de plusieurs fragments de l'Ulysses de Joyce réalisée par Otero Pedrayo.

2. Le Ministère de la science et de la technologie espagnol nous a concédé une aide économique pour développer, à l'Universidade de Vigo, ce travail qui consiste à ficher toutes les traductions réalisées en galicien entre 1980 et 2005.

3. Cf. Biblioteca de Literatura Infantil e Xuvenil ( BLIX ) sur :[http://www.filix.org/traduccion/versions.html] visité le 10 mars 2006.

4. Index Translationum. Visité le 10 mars 2006.