Alexandrie

2006 Septembre 12
Alexandrie

Selon l’écrivain basque Anjel Lertxundi , le mot basque albiste (nouvelle) vient du terme arabe al-bisara – bonne nouvelle – et aujourd’hui, précisément, la nouvelle nous vient du monde arabe, mais elle est triste car elle nous fait part de ton décès.

Néanmoins, la mort ne t’a pas pris au dépourvu. Mais la mort ne t'a pas pris au dépourvu car, en effet, lorsque tu as atteint ta 89e année, la sentant proche, tu as fait cet aveu : « Je sens que je suis à la gare de Sidi Gaber, la dernière juste avant celle d’Alexandrie. Chaque fois que je me rendais à Alexandrie pour passer l’été, je savais que je ne devais pas descendre à la gare de Sidi Gaber, mais à la suivante. Je savais toutefois que je devais commencer à rassembler mes bagages puisque c’était l’avant-dernière gare avant celle d’Alexandrie. Maintenant je me sens comme si j’étais à Sidi Gaber ».

Mais tu as vécu longtemps, presque un siècle, et tu nous as surtout donné des nouvelles du Caire. Tu as voulu rendre la littérature accessible aux gens démunis, en mettant les livres à la disposition des pauvres – à la bibliothèque d’Al-Guri – et en écrivant des pièces de théâtre pour les illettrés. Tu es surtout connu pour tes romans et, bien que tu sois à peine sorti d’Egypte, ton oeuvre est connue dans le monde entier. Chez-toi aussi le particulier est devenu universel et par exemple ton roman Passage des Miracles qui se déroule au Caire a été adapté au cinéma par Jorge Fons et se situe à Mexico.

Cependant, ton Caire à toi n’est pas la ville du silence et de la vérité dont tu nous parlais. Le Caire compte aujourd’hui seize millions d’habitants alors que quand tu es né, elle n’en avait qu’un million. Quand tu te promenais dans une de ses rues, tu as été victime d’un attentat à l’arme blanche, perpétrée par des intégristes, depuis, tu as été paralysé de ta main droite. Dans l’impossibilité d’écrire tes propres textes, tu as été contraint de les dicter à ton ami l’écrivain Mohamed Salmauiri. Tu as publié toutes les semaines un article dans le quotidien Al-Ahram.

Malheureusement, l’Occident s’intéresse peu à la littérature arabe et méconnaît les vraies nouvelles de ce monde-là. Si tu n’avais pas reçu le Prix Nobel nous n’aurions certainement pas connu ton oeuvre ; comparée à la littérature occidentale, celle d’orient est plus sensuelle, elle nous parvient par le regard et par les sens, elle contient plus d’arômes et de sueur, même son rythme est différent.

Par ailleurs, ton oeuvre a été interdite en Egypte et tu ne sais certainement pas que, à cause des agents littéraires, de l’ignorance et de la politisation, la traduction de tes oeuvres a aussi été interdite au Pays Basque. Voici ce que l’auteur Anjel Lertxundi dit à propos de la traduction : « Le monde et la littérature renferment encore dans leurs recoins beaucoup de sentiments, d’émotions, de visions, de tournures et d’élans que la langue basque n’est pas encore parvenue à nommer. Seule la traduction nous sert de pont : la traduction nous permet de voir de nos propres yeux d’autres ambiances, d’autres personnages et d’autres paysages, elle est le moyen, aussi inévitable que riche, d’unir notre voix à celle des autres » ; Tu ne dois certainement pas savoir que la traduction au basque de ton roman La nuit des mille et une nuits / Mila eta bat gauen gaua a été enfin publiée et que Mirarien kalezuloa / Passage des miracles va l’être prochainement, en voilà une bonne al-bisara et baraka !

Le train est arrivé à Alexandrie et c’est peut-être le moment de répéter la phrase que tu aimais dire : la parole est d’argent ; le silence est d’or.

Avec la permis de l'auteur.
Cet article a été originalement publié au quotidien Gara, le 31 août 2006.